Logiciel métier sur mesure vs Progiciel : quatre questions pour bien choisir

Par Jean-Michel Biraghi - BSPOKE. Temps de lecture : 7 min

Le logiciel métier, ou l’ERP selon le périmètre des fonctionnalités et la taille de l’entreprise, est par définition situé au cœur de l’activité de l’usine, de l’atelier, de l’entrepôt.

Toute entreprise ayant cette dépendance à l’informatique, quelle que soit sa taille, va devoir envisager, à intervalles réguliers, un changement de logiciel métier : pour faire face à une croissance d’activité, une diversification, une fusion-acquisition, etc., les raisons ne manquent pas… Or choisir ou changer son logiciel métier n'est pas une opération aussi "simple" que changer son logiciel de paie, de compta, son serveur de mail, etc .

Le responsable informatique, le dirigeant ou le Directeur des Opérations va devoir faire toute une série de choix : matériels, organisationnels, techniques, ainsi que le choix d’un prestataire de confiance pour la mise en œuvre du nouveau logiciel métier.

A un moment ou à un autre se posera l’inéluctable question : dois-je acquérir un ERP existant ou faire appel à un ou plusieurs développeurs pour réaliser mon application sur mesure ? Quels sont les critères de choix, comment comparer les deux options ? On peut rapidement se perdre dans cette analyse ou introduire un biais fragilisant la prise de décision.

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Comment définir mon besoin ?

On a trop souvent tendance à établir une liste des fonctionnalités d’un logiciel pour évaluer sa « puissance ». C’est une liste à la Prévert : plus il « fait » de choses, plus il doit être efficace, n’est-ce pas ?

Pour changer des métaphores automobiles courantes dans ce milieu, si vous devez remplacer votre tondeuse, on vous vendra du thermique, du sans fil, du Mulching, des Watts, de la largeur de coupe, du coussin d’air, de l’auto-traction, etc… Pourtant, il est évident que si votre terrain est escarpé et rocailleux, un modeste rotofil sera sûrement plus efficace qu’un tracteur de pelouse assis !

Plutôt que cocher un maximum de cases pour se rassurer, il est essentiel de partir de la logique métier à l’œuvre dans l’entreprise et de vérifier qu’elle sera respectée, voire enrichie. Un ERP du commerce, qu’il soit SAAS ou non, vous imposera de suivre sa logique, ses procédures. Certes beaucoup seront paramétrables à votre main, ou peuvent accueillir des « plug-in » spécifiques, mais au prix d’une intégration coûteuse et chronophage, qui se rapprocheront du développement sur mesure.

Si les procédures de l’entreprise sont peu structurées, et qu’on peut s’accommoder d’une méthode standard propre au métier, alors l’ERP « sur étagère » fera parfaitement l’affaire car vous adapterez vos processus de production, d’ADV, de gestion, en vous laissant guider par le logiciel, rôdé et éprouvé par des centaines ou des milliers d’utilisateurs avant vous. La principale difficulté dans ce cas sera de faire son choix parmi tous les ERP du marché : selon les secteurs, il peut y avoir des dizaines d’offres, de la plus médiatisée à la plus pointue, et la rigueur commande de les examiner toutes ! Il est quasiment impossible de choisir « sur catalogue » : pour chaque logiciel candidat, il va falloir prendre le temps de le tester de la façon la plus réaliste possible. Cela prend du temps, c’est fastidieux, et à moins d’avoir un service informatique ou une personne dédiée, rares sont ceux qui vont au bout du process. On verra parfois quelques réflexes surprenants : prendre la solution la plus chère par exemple, car c’est « forcément » un gage de qualité… De qualité peut-être, mais d’adéquation ?

Si par contre la culture de l’entreprise est très forte, les processus métiers très précis, travaillés, peaufinés par des années d’expérience, avec parfois des nuances très marquées entre différentes filiales ou chaînes de production, il y a peu de chances de trouver sur le marché l’ERP de vos rêves. Ce serait au prix d’une modification substantielle des méthodes, au risque d’une perte de productivité. Un développement sur mesure s’impose généralement car c’est le logiciel qui s’adaptera à votre métier et non le contraire.

Contrairement au cas précédent, cette fois-ci vous irez à la rencontre du développeur de l’application, pour lui expliquer votre métier, qu’il ne connaît probablement pas, en tous cas pas aussi bien que vous. Il faudra donc tout lui expliquer, et surtout rentrer dans les détails, le diable y étant souvent caché, c’est bien connu. Vous pourrez soit établir vous-même le cahier des charges descriptif de l’application, soit laisser le prestataire observer votre métier et le retranscrire dans son analyse. Il serait bienvenu qu’il vous pose des questions, et qu’il fasse des suggestions. Si tout est limpide et « carré » du premier coup d’œil, c’est qu’il y a un loup… Vous pouvez tout à fait mettre en concurrence plusieurs développeurs, mais ne multipliez pas leur nombre : deux suffisent, trois grand maximum. Pour les sélectionner, rencontrez-les, parlez-leur de votre métier, laissez-les vous expliquer le leur, et voyez si le « courant passe » et s’ils ont bien compris vos enjeux. Faites-vous montrer leurs précédentes réalisations, si besoin demandez à échanger avec leurs clients. Chaque développeur a sa patte, son style, sa façon d’appréhender l’interaction avec l’utilisateur : il faut que vous soyez convaincu d’avoir trouvé le bon partenaire avant de vous lancer et signer un devis.

Comment se fera la transition ?

Le timing de la mise en œuvre de votre nouvelle solution métier fait partie des critères de sélection. En effet, un ERP du commerce ne s’accommodera jamais d’une période de transition : après une phase de test et de formation, il vous faudra démarrer le jour J à l’heure H avec le nouveau logiciel et basculer directement vos données de production. C’est parfois compliqué à envisager : trop brutal, trop complexe, trop d’effets de bord à craindre ou de réactions en chaîne. Mais bien sûr le calendrier sera beaucoup plus rapide, la solution étant par définition prête à l’emploi.

Un logiciel sur mesure pourra gérer cette transition, si besoin sur plusieurs années, en cohabitant avec une solution existante, via un échange de données en temps réel par exemple, de façon à implémenter en douceur des modules successifs jusqu’à complétion du périmètre visé. Dans ce cas, le logiciel étant développé au fil de l’eau par ordre de priorité, on a un double avantage : d’une part les modules non développés initialement tireront parti des retours d’expérience des premiers délivrables, pour une meilleure adéquation au métier, et d’autre part l’investissement sera lissé dans le temps, au rythme des développements successifs.

Combien cela va-t-il coûter ?

Il est assez évident qu’un ERP du marché répartit ses coûts de R&D sur l’ensemble de sa clientèle, ce qui permet de baisser le prix de revient de chaque installation, relativement à la taille de la base installée. Ceci n’empêche pas la solution standard d’être chère en soi : mais le prix payé servira à financer les dépenses de marketing, et les frais fixes proportionnels à la notoriété de l’entreprise, ainsi qu’à augmenter la marge.

Pour un développement sur mesure, le client supporte l’ensemble des frais d’étude et de développement engendré par son propre projet mais la valeur faciale de ce package n’est pas forcément délirante ou disproportionnée car le périmètre de l’application est par définition parfaitement ajusté à votre besoin : vous ne payez que les fonctionnalités qui vous sont nécessaires, il n’y a pas de « gras », et les frais fixes de votre prestataire seront forcément moins élevés que ceux des éditeurs poids-lourds du secteur.

Coté logiciel standard, vous devrez étudier et comprendre le modèle de licence qui peut être très spécifique ainsi que les modalités de résiliation et les coûts de support et de maintenance qui sont parfois prohibitifs. Sur le même principe que les cafetières ou les imprimantes, le logiciel peut très bien représenter un cheval de Troie peu onéreux en investissement mais qui vous assommera en maintenance obligatoire. Ne pas oublier les coûts de la formation, encadrée ou induite, qui sera nécessaire pour que votre équipe s’adapte à la logique et au fonctionnement de l’ERP. Enfin bien noter que toute demande spécifique risque d’être payée au prix fort. Renseignez-vous en amont sur ce point.

Quant au développement spécifique, une fois l’étude et le développement financés, les coûts annexes seront généralement faibles, le coût total de possession baissant mécaniquement assez rapidement. De plus si le travail est bien fait, aucune formation ne sera nécessaire, en tout cas sur la partie métier, les utilisateurs devant se sentir d’emblée « chez eux » dans l’interface et les fonctionnalités.

La question financière est donc importante, par nature, mais ne doit pas être évaluée seule. Elle n’est qu’une composante des autres facteurs de décision, et surtout elle doit être calculée sur une période au minimum doublée par rapport aux durées classiques d’amortissement (3 à 5 ans) en cumulant frais d’investissement et de fonctionnement, ces derniers étant parfois cachés ou subtils.

Comment ça va évoluer ?

J’ai coutume de dire que la livraison du logiciel n’est pas la fin du cycle, mais au contraire le début. L’évolution de l’environnement physique (matériel, réseau, systèmes, internet, etc.), des standards de l’industrie informatique (protocoles de communication par exemple) ainsi que les différentes normes propres au métier ou légales et génériques, vont nécessiter tôt ou tard, une mise à jour, une adaptation, voire une refonte partielle ou totale de votre solution, dans 1, 5 ou 10 ans.

Vous ne maîtrisez pas la roadmap de votre ERP standard. Il est probable que les nouvelles normes et standards soient intégrées d’office dans une future version, mais si la demande d’évolution vient de vous et non pas du métier en général, il y a peu de chance qu’elle voie le jour, sauf à payer un développement spécifique qui remettra en cause les calculs financiers, et même le choix de la solution. Il arrive parfois que l’éditeur impose une mise à jour majeure qui va bouleverser complètement vos procédures, nécessiter de nouveaux investissements et encore plus de formation. En se gardant d’évoluer et de suivre le mouvement, on accumulera une dette technique qui se paiera cash le jour venu, avec une remise à plat et un retour à la case départ.

Rien de tel avec le développement sur mesure qui contient dans ses gènes la question de l’évolutivité. Vos besoins seront implémentés rapidement et au meilleur coût de façon à conserver une solution toujours à la pointe. Le client garde toujours la main et décide du rythme et de l’ampleur des évolutions. Sur ce point précis, l’avantage va clairement au développement sur mesure.

On l’aura compris, il n’y a pas de QCM magique qui permette de choisir à coup sûr la bonne option. Mon conseil : prenez votre temps pour peser le pour et le contre, exposez vos doutes aux différents partenaires, le commercial en charge de votre secteur côté ERP, le développeur ou le chef de projet, côté spécifique, et analysez leurs réactions. Un homme (ou une femme) de l’art se doit de vous orienter au mieux de votre intérêt, et non pas seulement du sien car un logiciel métier implique un engagement mutuel de plusieurs années. Une fausse promesse qui vous serait faite pour conclure le marché, ne mettrait pas longtemps à être démasquée et aboutirait à une situation perdant-perdant. Il faut donc chercher avant tout à se trouver dans une situation de confiance avec des postulats et des engagement clairs.

Janvier 2022  

  

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